À chaque élection, la promesse démocratique vacille. En Afrique subsaharienne, les urnes se transforment trop souvent en champs de bataille, où la conquête du pouvoir l’emporte sur la volonté populaire. Entre institutions fragiles, manipulations politiques et tensions identitaires, la démocratie semble constamment sous pression.
Les élections présidentielles devraient être des moments de célébration démocratique, des instants où les peuples choisissent librement leurs dirigeants et tracent les contours de leur avenir. Pourtant, en Afrique subsaharienne, ces échéances électorales sont trop souvent synonymes de tensions, de violences et de fractures sociales. Le spectre de la contestation, des affrontements communautaires et des dérives autoritaires plane sur des pays comme le Cameroun, la Côte d’Ivoire et le Kenya,pour ne citer que ces quelques pays; où les urnes deviennent parfois le théâtre de luttes acharnées pour le pouvoir. Ce phénomène récurrent interroge la solidité des institutions, la maturité des systèmes politiques et les dynamiques internes qui alimentent ces crises. Pourquoi les élections, censées incarner la souveraineté populaire, se transforment-elles en foyers de violence? Quels sont les enjeux réels derrière ces confrontations ? Et surtout, quelles forces endogènes orchestrent ou résistent à ces dérives ?
Cet article propose une analyse critique de ces violences électorales, en explorant leurs causes, leurs conséquences et les défis à relever pour une démocratie véritablement apaisée.
Les causes profondes : entre institutions fragiles et héritages historiques
Les violences électorales ne sont pas le fruit du hasard. Elles trouvent leurs racines dans :
• La faiblesse des institutions électorales, souvent perçues comme inféodées au pouvoir en place.
• L’ethnicisation de la politique, où les appartenances communautaires priment sur les projets de société.
• La personnalisation du pouvoir, avec des dirigeants qui s’accrochent au pouvoir, parfois au mépris de la Constitution.
• L’absence de justice transitionnelle, qui empêche la réconciliation après les crises passées.
En Côte d’Ivoire, l’élection présidentielle de 2020 a été marquée par la décision controversée du président Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat. Cette décision a déclenché une vague de protestations violentes, notamment à Daoukro, où des affrontements ont causé plusieurs morts, dont un jeune militant, Koffi Toussaint. Plus de 8 000 personnes ont fui vers les pays voisins, redoutant une répétition des violences de 2010.
Conséquences : une démocratie fragilisée et des sociétés fracturées
Les violences électorales ont des effets dévastateurs :
• Perte de vies humaines et déplacements massifs.
• Affaiblissement de la confiance citoyenne dans le processus démocratique.
• Polarisation sociale et communautaire, souvent instrumentalisée par les élites politiques.
• Frein au développement économique, car l’instabilité décourage les investissements.
Au Kenya, bien que l’élection présidentielle de 2022 ait été globalement plus pacifique que celle de 2007, elle n’a pas échappé aux tensions. Des accusations de fraude ont alimenté des manifestations dans les bastions de l’opposition, notamment à Kisumu. La méfiance envers la commission électorale reste vive, et le climat politique demeure polarisé.
Les enjeux : pouvoir, ressources et légitimité
Derrière ces violences se cachent des enjeux cruciaux :
• Le contrôle des ressources économiques, souvent concentrées entre les mains de l’État.
• La quête de légitimité, dans des contextes où les élections sont vues comme le seul moyen d’accéder au pouvoir.
• La survie politique, pour des régimes qui redoutent l’alternance.
Au Cameroun, les tensions post-électorales de 2018 ont été exacerbées par un climat de méfiance généralisée envers les institutions; bis repetita en 2025 lors de l’élection présidentielle d’octobre 2025, des violences ont éclaté à Garoua, où une enseignante a été tuée par balle lors d’une manifestation contre des résultats jugés frauduleux. Les partisans d’Issa Tchiroma Bakary ont dénoncé un « hold-up électoral », tandis que le gouvernement a qualifié les manifestations de « tentatives insurrectionnelles ». Des affrontements ont également eu lieu à Douala et Limbé, illustrant la tension extrême autour du maintien au pouvoir du président Paul Biya.
Les forces endogènes : entre manipulation et résistance
Les violences électorales sont souvent orchestrées ou tolérées par :
• Des élites politiques, qui mobilisent des milices ou exploitent les tensions communautaires.
• Des médias partisans, qui attisent les divisions.
• Des institutions judiciaires faibles, incapables de sanctionner les abus.
Mais face à cela, des forces de résistance émergent : société civile, mouvements citoyens, journalistes indépendants, et une jeunesse de plus en plus connectée et exigeante. Au Kenya, des plateformes citoyennes comme Ushahidi ont permis de documenter les violences et de renforcer la transparence. En Côte d’Ivoire, des ONG ont joué un rôle crucial dans la médiation communautaire.
Conclusion
Les violences électorales en Afrique subsaharienne ne sont pas des fatalités. Elles sont le reflet de systèmes politiques en quête de maturité, de sociétés en tension, mais aussi de résistances citoyennes qui aspirent à un changement profond. Pour sortir de ce cycle de crises, il est impératif de renforcer les institutions démocratiques, de promouvoir une culture politique fondée sur le respect des règles du jeu, et de garantir l’indépendance des organes électoraux et judiciaires, l’éducation civique et politique des citoyens,le renforcement des institutions indépendantes, la promotion du dialogue intercommunautraire….
La paix électorale ne se décrète pas : elle se construit, jour après jour, par l’engagement des citoyens, la responsabilité des leaders et la vigilance de la société civile. L’Afrique a les ressources humaines, intellectuelles et culturelles pour bâtir une démocratie apaisée et inclusive. Il est temps de transformer les élections en véritables instruments de progrès, et non en champs de bataille pour le pouvoir.
Par Gervais MOUSSONGO
Consultant en Stratégie – Intelligence Économique – Due Diligence & Communication d’Influence
Managing Partner Chez ADVALYS Consulting Group