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Corée du Nord – Russie : la lune de miel pourrait toucher à sa fin Cha, Du Hyeon – Chercheur principal à l’Institut Asan pour les études politiques

Corée du Nord – Russie : la lune de miel pourrait toucher à sa fin Cha, Du Hyeon – Chercheur principal à l’Institut Asan pour les études politiques

Le 26 avril, le chef d’état-major général russe, Valery Gerasimov, a déclaré vouloir rendre hommage aux troupes nord-coréennes pour leur « contribution majeure » à la libération de la région de Koursk, lors d’un briefing vidéo avec le président Vladimir Poutine au sujet de la reconquête de ce territoire occupé par les forces ukrainiennes. Moscou a ainsi reconnu officiellement, six mois après les premières suspicions formulées par les services de renseignement ukrainiens en octobre 2024, le déploiement de troupes nord-coréennes dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine.

Par la suite, Pyongyang a confirmé dans un communiqué émanant de la Commission militaire centrale du Parti des travailleurs de Corée l’envoi de ses troupes, saluant leurs « exploits héroïques » et leur « contribution significative ». Le régime nord-coréen a qualifié cet envoi de « nouveau chapitre historique dans les relations entre la Corée du Nord et la Russie », marquant « l’apogée de leur alliance stratégique et fraternelle ».

Le 9 mai, lors du défilé militaire de la Journée de la Victoire à Moscou, Vladimir Poutine a échangé une poignée de main avec la délégation militaire nord-coréenne. Kim Jong-un a mis en avant « huit décennies d’amitié et de solidarité inébranlables entre les deux pays », affirmant que les troupes nord-coréennes et russes avaient éliminé un « ennemi commun » et que leur présence sur le champ de bataille relevait de leurs « droits souverains ». Ces démonstrations suggèrent un renforcement manifeste de leur alliance, ravivée depuis la signature du Traité de partenariat stratégique global en juin 2024.

Cependant, une divergence subtile apparaît dans la manière dont les deux parties perçoivent cette relation bilatérale.

Premièrement, malgré la reconnaissance officielle du déploiement de troupes nord-coréennes par Moscou et Pyongyang, des différences subtiles subsistent. Tandis que la Corée du Nord qualifie ce déploiement d’acte héroïque et de réciprocité militaire, la Russie, tout en saluant leur contribution, n’a jamais évoqué d’engagement en lien avec la péninsule coréenne. En effet, Moscou limite cette coopération au théâtre ukrainien, alors que Kim Jong-un a déclaré que « toute agression » des États-Unis ou de la Corée du Sud serait contrée « conformément aux dispositions du traité ». Ces divergences sont apparues lors du défilé du 9 mai à Moscou, auquel certains s’attendaient à voir Kim Jong-un assister, ce qui ne fut pas le cas. Cela pourrait indiquer que l’événement, qui rassemblait de nombreux participants, ne correspondait pas à la volonté de Pyongyang de mettre en valeur son rapprochement avec Moscou. En d’autres termes, la Russie, qui a désormais repris l’avantage dans la guerre, aurait souhaité éviter de trop exposer cette alliance, à la différence de la Corée du Nord, désireuse d’afficher ces liens sur la scène nationale et internationale.

Deuxièmement, à mesure que les relations se renforcent, des désaccords pourraient apparaître dans la phase de règlement intermédiaire sur ce que chacun attend de l’autre. Le refus de Kim Jong-un d’assister à la Journée de la Victoire peut déjà être interprété comme un message de Pyongyang. Malgré la participation des troupes nord-coréennes à la reprise de Koursk, aucun signe ne laisse penser à leur engagement dans l’est de l’Ukraine, où l’offensive russe s’intensifie. Ayant démontré sa capacité à fournir armes et soldats, Pyongyang pourrait signifier que toute demande supplémentaire devra s’accompagner de compensations accrues. Le pays aurait peut-être déjà reçu ou s’est vu promettre nourriture, énergie, et armements conventionnels en échange de ses obus d’artillerie, missiles balistiques et soldats. Désormais, Kim pourrait exiger davantage : technologies et composants pour son nouveau sous-marin et destroyer de 5 500 tonnes, voire des transferts en matière nucléaire. La réponse de Moscou reste cependant incertaine.

Troisièmement, les relations entre la Corée du Nord et la Chine, tout comme celles entre leurs dirigeants, peuvent constituer une variable importante. Le rapprochement russo-nord-coréen pourrait fragiliser les liens avec Pékin, qui représente plus de 90 % du commerce extérieur de Pyongyang. On ignore combien de temps la Corée du Nord pourra supporter ce risque. De son côté, la Russie, qui dépend de plus en plus de la Chine depuis la guerre, doit également ajuster le niveau de proximité avec la Corée du Nord. Le fait que les trois pays — Corée du Nord, Chine, Russie — soient dirigés par des régimes autoritaires personnalistes incite à la coopération, mais engendre aussi des tensions. Le désir de domination, propre à ces régimes, dépasse souvent les frontières intérieures pour influencer les relations étrangères. En cherchant à se positionner en partenaire égal de la Chine et de la Russie, Pyongyang pourrait provoquer des tensions, Pékin et Moscou préférant maintenir la Corée du Nord dans un rôle subalterne.

En somme, les relations russo-nord-coréennes semblent déjà entrer dans une phase d’ajustement après la lune de miel initiale. Leur reconnaissance tardive du déploiement des troupes nord-coréennes indique que cet ajustement a déjà commencé. Au départ, les deux pays hésitaient à confirmer officiellement cette présence militaire, Moscou qualifiant l’affaire de « question bilatérale » et Pyongyang affirmant agir « dans le cadre des normes juridiques internationales ». Les lourdes pertes subies par les troupes nord-coréennes au début de leur déploiement pourraient expliquer cette hésitation. Le choix d’attendre un moment opportun pour des raisons de propagande montre qu’ils étaient conscients de l’illégitimité de l’opération. La Corée du Nord exigera probablement une compensation importante pour ses « exploits héroïques », mais la Russie, désormais dans une position plus favorable sur le front, pourrait revoir ses calculs.

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